Comment perdre le nord ?

LES ROIS MAGES

« Ils perdirent l’étoile, un soir.
Pourquoi perd-on l’étoile ?
Pour l’avoir trop regardée.
Les deux rois blancs étant des savants de Chaldée,
Tracèrent sur le sol des cercles au bâton.

Ils firent des calculs, grattèrent leur menton,
Mais l’étoile avait fui, comme fuit une idée.
Et ces hommes dont l’âme eût soif d’être guidée
Pleurèrent, en dressant des tentes de coton.

Mais le pauvre Roi noir, méprisé des deux autres,
Se dit « Pensons aux soifs qui ne sont pas les nôtres,
Il faut donner quand même à boire aux animaux. »

Et, tandis qu’il tenait un seau d’eau par son anse,
Dans l’humble rond de ciel où buvaient les chameaux
Il vit l’étoile d’or, qui dansait en silence. »

Edmond Rostand.

Personnellement, j’adore ce conte des rois mages d’Edmond Rostand,que j’ai redécouvert en le faisant réciter à mon fils Arthur il y a quelques années de cela… Nous l’avons d’ailleurs illustrée ensemble, sur son cahier de poésie, en nous inspirant des croquis de mon grand-père peintre orientaliste au Maroc, Marcel Vicaire.

Depuis, ce texte revient me trotter de temps en temps dans la tête.

« Pourquoi perd-on l’étoile ?
Pour l’avoir trop regardée. »

A trop regarder son objectif, on risque de le perdre de vue…

C’est drôle, parce cette fable pourrait s’opposer trait pour trait au fameux proverbe chinois : « Lorsque le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt. »

Dans le grand cap de son objectif, où poser son regard ? Sur le premier point de la ligne de fuite ? sur le dernier ? Montrer la lune. Regarder la lune. Rêver d’aller la décrocher. Oser rêver en couleurs…
« Il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles », disait Oscar Wilde.
Regarder haut. Regarder loin. Voir le tableau dans son ensemble – the big picture -, avec un regard panoramique – an helicopter view-. Avoir conscience du BIG WHY – comme disent les Américains – le « grand pourquoi » nous faisons les choses. Et alors là, je pense à la fable des casseurs de pierres de Charles Peguy : le premier casseur de pierre interrogé par Peguy sur son activité répond d’un air accablé : « Vous le voyez bien je casse des pierres ». Le second, un peu plus serein, affirme qu’il « casse des pierres pour nourrir sa famille ». Et le dernier cantonnier de répondre, un sourire radieux éclairant son visage : « je bâtis une cathédrale ». Connaître le grand pourquoi l’on fait les choses, au service de quoi chacun casse ses propres cailloux nous permet de garder davantage en nous la motivation de réaliser des tâches qui pourraient paraître en elles-mêmes bien dénuées de sens. L’alternative serait alors de cet ordre : Casser des cailloux avec amertume… ou bâtir des cathédrales avec le sourire ?

Et pourtant, ce que semble nous dire ici Edmond Rostand, c’est qu’à force de regarder trop loin… on ne voit plus ce qu’il y a tout près… et on perd donc de vue son objectif. On pourrait s’amuser à inverser le proverbe chinois et dire, comme en écho à Edmond Rostand : « lorsque le sage montre LE DOIGT, l’idiot regarde LA LUNE » ?!!
Comme un encouragement à savoir se fixer de petits objectifs pour pouvoir les atteindre. « Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas » disait Lao Tseu.
Alors qui croire ? A quelle sagesse, à quelle folie se vouer ? Garder les yeux rivés sur l’étoile ? Ou accepter de la perdre de vue ?

Et là… c’est sans doute là que notre roi noir intervient. Il dit « pensons aux soifs qui ne sont pas les nôtres ». Il sait que si eux, mages, guides spirituels, ont la soif, la curiosité de se mettre en chemin pour trouver ce nouveau-né de Bethléem, cet enfant dieu – ce ‘tout-petit’ infiniment grand – les chameaux qui les portent sur cette longue route, eux, ont soif d’eau fraîche et pure. Il pense à la soif d’absolu, il pense aussi à la sensation corporelle de la soif. Peut-on dire que sa soif d’absolu est paradoxalement tellement concrète, qu’il peut la ressentir dans son corps, et par là-même, ressentir ce que des animaux, des êtres connectés à leur instinct peuvent ressentir ? Il se met alors à l’oeuvre, pour leur donner à boire en leur portant un seau d’eau. Les autres mages, eux, se sont arrêtés. Leur regard était porté vers les cieux, vers l’étoile du Berger, l’étoile indiquant le Nord pour les guider vers le petit Dieu fait homme. Mais l’étoile perdue de vue, ils regardent au sol, tracent des cercles au bâton pour calculer leurs trajectoires. Ils se rapprochent du sol, mais pour rester encore dans leurs têtes de savants astronomes qu’ils sont… Alors qu’en acceptant de lâcher son objectif, pour plus exactement en acceptant de poursuivre différemment son objectif, en prêtant attention aux conditions nécessaires pour l’atteindre, en prêtant attention aux animaux qui les transportent vers cet objectif… le mage noir retrouve celui-ci : il retrouve l’étoile dans le miroir formé par la surface de l’eau du seau, comme par enchantement…

Alors me direz-vous, tout cela est parfait, mais que faut-il donc faire en premier lieu pour atteindre son objectif :

– regarder la lune ?
– Regarder le doigt ?

– Regarder l’étoile ?
– la perdre de vue ?

Hé bien… peut-être faut-il pouvoir regarder les deux. Peut-être faut-il même surtout pouvoir changer l’axe de son regard.
Le plus important, si nous revenons à la soif des chameaux, et au conte de Charles Peguy, c’est de pouvoir se connecter à la fois à la sensation de casser des cailloux, à la fierté de pouvoir ainsi nourrir sa famille, et à la joie de participer à la construction d’un bâtiment pour honorer le sacré.

Pour retrouver le sens, la direction de notre objectif… peut-être faut-il savoir faire ces aller-retours où l’on accepte de perdre le sens-la direction-et aussi le contrôle – peut-être faut-il savoir faire ces allers-retours entre le sens et les sens. Entre le sens et les sensations liées à cet objectif. S’y reconnecter. Sans quoi la quête est trop absolue pour être juste. Soif de Dieu ? Sensation de manque… et perception de sa propre finitude…
Les rois marchent parce qu’ils ont soif de sens, de rencontre avec le divin. Peut-être oublient-ils que le divin se loge aussi (et peut-être surtout ?) dans le tout-petit, dans l’animal, dans l’instinctivement juste, dans les petites actions toutes simples d’attention à l’autre, au vivant autour de soi.
Peut-être s’agit-il juste de réaliser chaque geste, chaque mouvement, chaque action en étant en pleine conscience du pourquoi, en pleine conscience de l’étoile que l’on suit… et aussi en gardant bien présentes toutes les sensations liées à cet objectif : en pleine conscience. En toute « mindfulness » comme disent encore les Américains.

ET VOUS ? COMMENT ATTEIGNEZ-VOUS VOS OBJECTIFS : GARDEZ-VOUS VOTRE ETOILE À L’OEIL ?

JE VOUS DONNERAI QUELQUES TRUCS POUR Y PARVENIR DANS MA PROCHAINE NEWSLETTER, mi-décembre !

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