Au fait, réussir quoi ? Par Jacques Brel

« Réussir quoi ? Il faut s’entendre sur le mot réussir.

On a un rêve, et on essaie de réussir. De structurer ce rêve. Alors dans ce sens là il est exact de dire que j’ai travaillé pour réussir. Finalement on raconte ce qu’on rate, on raconte ce qu’on n’arrive pas à faire. C’est un phénomène de compensation. Et j’ai voulu réussir ce phénomène de compensation. Et j’ai dû travailler beaucoup pour ça. Bien évidemment, parce que je suis convaincu d’une chose : le talent ça n’existe pas. Le talent c’est d’avoir l’envie de faire quelque chose. Je prétend qu’un homme, qui rêve, qui a envie de manger un homard, il a le talent, à ce moment là, dans l’instant, pour manger convenablement un homard, pour le savourer convenablement.

Et je crois qu’avoir envie de réaliser un rêve, c’est le talent.

Tout le restant c’est de la sueur, c’est de la transpiration, c’est de la discipline. Je sûr de ça, je suis convaincu de ça.

L’art moi, je sais pas ce que c’est. … Les artistes, je connais pas… Je crois qu’il y a des gens qui travaillent à quelque chose. Et qui travaillent avec une grande énergie finalement. L’accident de la nature, je n’y crois pas.

Un homme passe sa vie à compenser son enfance. Je m’explique, je crois qu’un homme se termine vers 16, 17 ans. Vers 16, 17 ans, un homme a eu tous ses rêves. Il les connait pas. Mais ils sont passés, ils sont passés en lui. Il sait s’il a envie de brillance, ou de sécurité, ou d’aventure, il le sait. Il le sait pas bien, mais il a ressenti le goût des choses. Comme le goût du chocolat, de la soupe aux choux, il a le goût de ça. Et il passe sa vie à vouloir réaliser ces rêves-là. Et je crois qu’à cet âge là un home est mort, ou il peut mourir ! Je sais que moi j’essaie de réaliser les étonnements que j’ai eus jusqu’à disons 20 ans. Et à 40 ans, on s’en aperçoit. (…). A 40 ans, on le sait, maintenant je sais que c’est comme ça. L’homme est un nomade. Et toute sa vie un homme normal rêve de foutre le camp. Même si le gars est fonctionnaire depuis 40 ans, si un soir on l’écoute un peu, il dit : « J’aurais voulu être pilote, j’aurais voulu être machin…  »

(…)

Tous les hommes ont envie de faire quelque chose. Les hommes ne sont malheureux que parce qu’ils n’assument pas les rêves qu’ils ont. 

Je connais un million de types qui vont écrire un livre. J’en ai rencontré un million dans ma vie. Tes types qui disent : « encore 2 ans, je vends des bretelles encore 2 ans… Tu vois, mais alors en 73, j’écris un livre. Et si tu les rencontre en 73 ils t’expliquent « moi je continue à vendre mes cornichons tu comprends, moi je vis avec mes cornichons, j’ai une femme, j’ai deux enfants, j’ai machin…. ma voiture est vieille. Je vends des cornichons jusqu’en 75, et en 75, j’écris un livre. Le livre étant le symbole.

Moi je crois que bretelles ou cornichons…

Quand on envie de faire un truc il faut plonger comme un fou et le faire, quitte à se tromper.

Je préfère me tromper et je préfère plonger. Et je plonge. Je trouve anormal de refuser d’avoir peur tout le temps. Mais vivre sans avoir peur, c’est pas vivre enfin ! Il vaut mieux être mort !

Henry Lemaire, interview de Jacques Brel, au printemps 71, à Knokke. Filmé par  Marc Lobet.

Petites questions pour réussir votre rêve :

  1. Et vous, quel est votre plus beau « ratage », que vous avez envie – ou pas envie, ce qui revient au même, -de raconter au monde ?
  2. Quels sont les rêves que vous avez eus à 16/17 ans et que vous avez envie de réaliser ?
  3. Quelles sont vos « bretelles ou vos cornichons » à vous ?    ; )